Interview
Interview de Firmine Richard & Lucien Jean-Baptiste
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En cette période d’hiver, on avait envie de partager avec toi notre joie de retrouver Firmine Richard et Lucien Jean-Baptiste sur le petit écran, dans la suite d’une comédie que l’on avait adorée : La Deuxième Étoile. On les retrouve dans une interview sur le tournage du film
Le synopsis du film
Jean-Gabriel a décidé d’emmener toute sa petite famille passer les fêtes à la montagne pour Noël. Et cette fois, tout devrait bien se passer. C’est sans compter sur sa mère qui débarque des Antilles, ses enfants qui n’ont pas envie de partir, Jojo qui lui confie son Hummer, et sa femme qui lui annonce qu’elle doit s’occuper de son père qu’elle n’a pas revu depuis qu’elle a fait le choix d’épouser Jean-Gabriel. Mais pour Jean-Gabriel, la famille, c’est sacré, et Noël aussi !
Ce n’est simple pour personne de percer en tant qu’acteur. Pour en savoir plus, on a eu envie d’interviewer Firmine Richard et Lucien Jean-Baptiste sur leurs beaux parcours.
Lucien Jean-Baptiste
L6MAG : Comment avez-vous décidé de devenir acteur et de faire de la réalisation ?
Lucien : Eh bien, tout s’est fait de façon parallèle. C’est-à-dire qu’au départ, la vie m’a amené à vivre certaines épreuves, et je me suis dit que je n’avais plus rien à perdre. J’ai décidé de vivre mon rêve de gosse, être comédien, et la réalisation est liée à un souvenir d’enfance.
L6MAG : Lequel ?
Lucien : Avec ma mère antillaise qui n’avait pas d’argent, nous vivions en banlieue, et elle voulait que l’on connaisse comme les autres enfants le plaisir d’aller au ski. Elle n’avait pas organisé ça dans une grande station, mais c’est un souvenir tellement incroyable et je voulais le raconter un jour.
Et puis j’ai rencontré des producteurs avec lesquels j’ai tourné dans un film, et ils m’ont demandé si j’avais des souvenirs que je souhaitais partager. Naturellement, j’ai pensé à cela.
D’ailleurs ce que vous voyez dans La Première Étoile est vrai à quatre-vingt-dix pour cent. Au départ je ne pensais pas pouvoir être réalisateur parce que je n’avais aucune formation. Mais ces producteurs, des personnes intelligentes, m’ont dit de faire appel à un assistant technique pour m’aider à diriger les acteurs. Au final, le film s’est fait naturellement.
L6MAG : Votre premier film a été un succès, mais avez-vous rencontré des difficultés pour le financer ?
Lucien : Bien que l’on n’ait pas eu un gros budget, car c’était un premier long métrage, non, pas du tout, parce que c’est une comédie familiale grand public avec ce contraste noir dans un monde blanc. Il rassemblait tous les paramètres d’un succès potentiel — en tout cas sur le papier — et nous donnait la possibilité de rentrer dans l’industrie.
Ce qui est préférable pour un premier film, car la comédie est le genre qui marche le plus.
L6MAG : J’ai l’impression que les films comiques parlant de la différence sont très populaires actuellement. Qu’en pensez-vous ?
Lucien : Non, je ne crois pas que ce ne soit qu’une tendance. Depuis que le cinéma existe, il y a toujours eu des films sur le racisme, comme il y a toujours eu des films sur l’amour, sur la différence… Je pourrais vous citer une dizaine de films qui parlent de ça, comme Devine qui vient dîner ce soir dans les années 50-60 avec Sidney Poitier.
Vous êtes peut-être plus sensible à ça. Aujourd’hui, il y a une génération d’artistes qui sont les descendants des premières générations arrivées en France, silencieuses, la tête baissée, dont l’urgence était de survivre, de nourrir et scolariser leurs enfants. Maintenant, ces derniers ont grandi et ils s’expriment enfin. Leurs premiers sujets sont donc ceux auxquels ils sont sensibles : la différence, leur place dans la société, etc. On peut comparer ce phénomène avec celui du féminisme.
L6MAG : Pourquoi choisir l’humour pour évoquer des sujets de société importants ?
Lucien : J’aime bien l’humour et j’essaie de faire des films qui me ressemblent, car je trouve plutôt cool d’évoquer le racisme de manière décontracté. Je n’ai pas envie de faire « des films de tiroirs » vus par deux personnes ou prêcher à des convaincus. J’ai envie de sensibiliser le plus grand nombre, et c’est pour ça que, consciemment ou inconsciemment, j’utilise la comédie.
L6MAG : Pourquoi, y a-t-il si peu d’acteurs ou de réalisateurs noirs en France ?
Lucien : Sur soixante-six millions, on est peut-être quatre millions de Noirs ; cela peut donc déjà s’expliquer avec ces chiffres. Mais le paradoxe, c’est qu’on ne manque pas de footballeurs noirs ou de chanteurs, c’est donc une histoire d’orientation. Il faut que les choses s’organisent de notre côté, que lorsqu’un jeune garçon dit à son père « je voudrais être comédien », ce ne soit plus un problème. Je sais que c’est difficile, parce qu’on est encore beaucoup à venir de milieux défavorisés. Mais il faut casser les codes et se dire que la différence ne doit pas créer de l’inégalité des chances.
Souvent, on compare la France avec les USA, et on se demande pourquoi ils ont autant d’acteurs, de scénaristes noirs. Parce que c’est à l’unisson quarante millions de Noirs américains dans une vraie industrie. En France, être noir, ça ne veut rien dire du tout ; certains sont martiniquais, guadeloupéens, camerounais, d’autres musulmans ou cathos sans aucune unité, la seule chose qui nous unit, c’est la couleur de la peau et le racisme dont on souffre. Avec ces éléments et une population beaucoup moins importante, il est difficile de réaliser les mêmes choses qu’aux USA.
L6MAG : Être un acteur noir en France, c’est quoi pour vous ?
Lucien : Une force justement, sinon je serais noyé dans la masse, et c’est aussi un combat à mener.
Firmine Richard
L6MAG : Aviez-vous déjà pensé à devenir comédienne avant de rencontrer par hasard la responsable du casting de Coline Serrau ?
Firmine : Non, pas du tout. Comme vous le dites, cela a été le fruit d’une belle rencontre. J’étais au bon endroit au bon moment. À l’époque ce n’était absolument pas ma préoccupation première, car je travaillais dans le domaine du tertiaire. Mais une fois que j’ai fait Romuald et Juliette et vu son succès, j’ai bien sûr eu envie de continuer !
L6MAG : Être repéré dans un lieu public, pensez-vous que ce type d’histoire arrive encore aujourd’hui ?
Firmine : Sûrement ! Parce que je pense que le cinéma est aussi une question de rencontre.
L6MAG : Dans le film on évoque la différence, en tant qu’actrice noire, pensez-vous qu’il y a plus d’opportunités pour les jeunes acteurs noirs aujourd’hui que par le passé ?
Firmine : Je pense que c’est plus facile, parce que nous avons une jeune génération de réalisateurs qui ont grandi dans une société multiculturelle, et cela se traduit dans les films actuels. Ces thématiques suscitent plus d’intérêt et de questionnement de leur part, eux qui sont ou ont été à l’école avec des Noirs. Le racisme est moins important chez les jeunes que chez les anciens, parce qu’ils appartiennent à la même génération.
Maintenant, il y a plus d’écoles ; les jeunes ont beaucoup d’opportunités, ils ont un département cinéma audiovisuel art et autre à l’école, et dès la Terminale. S’ils en ont vraiment envie, ils ont tous les outils à disposition pour apprendre… Avec un portable, tout le monde peut faire un film aujourd’hui.
Beaucoup de choses sont facilitées avec les réseaux sociaux. Regardez comme les nouvelles vont vite, on peut dire les choses et les dénoncer. Je pense qu’on doit se servir de ces réseaux-là.
Ils ont la possibilité de parler de leurs origines et de leur histoire et de celle de leurs parents, des sujets qui sont presque encore tabou aujourd’hui.
L6MAG : En dehors de votre carrière de comédienne, vous êtes aussi engagée en politique. Qu’est-ce qui vous a motivée à être conseillère de Paris ?
Firmine : Le défi, et parce que nous, les Noirs antillais, n’étions représentés nulle part en métropole, dans les instances politiques ou sur liste électorale ni à droite ou gauche. J’étais la première Antillaise. Car nous, Antillais, nous votons, mais n’étions pas en position éligible. Ce qui est aberrant, car cela fait cinquante ans que je suis en France.
Je me suis demandée si on allait me dire non, ce qui ne fut pas le cas ; j’ai donc compris que c’est parce que l’on ne demandait pas. Quand on vit dans ce pays, on doit prendre part à la vie politique. J’ai donc écrit au PS pour demander à être sur la liste en position éligible. Comme quoi, il suffit de vouloir faire les choses et de s’imposer. Mais si on m’avait dit non, je n’aurais pas hésité à le faire savoir.
Ma satisfaction est que cela a fait des émules, et certaines personnes qui n’allaient jamais voter parce qu’elles ne se reconnaissaient pas dans le paysage politique sont allées voter. Les gens ont tous envie d’être représentés, qu’ils soient asiatiques, juifs, etc.
L6MAG : Demander n’est pas toujours aussi simple, c’est toute une éducation
Firmine : Effectivement, pour la génération de nos parents qui sont venus ici, ce n’était pas leur préoccupation première. Ils étaient concentrés sur leur travail, leurs besoins primaires, et n’avaient pas le temps d’oser. Maintenant, notre génération doit oser avant de penser que l’on puisse leur refuser quelque chose.
Si tu demandes et qu’on te dit non, tu peux demander pourquoi, et il faut alors qu’on te donne des arguments. S’il n’y en a pas, et bien, tu peux considérer qu’il y a un problème. On le voit à travers les réseaux. Il ne faut pas hésiter à dénoncer, prendre le pouvoir et se donner le moyen de contourner les obstacles, utiliser le pouvoir des images…
Remerciements à l’agence K’s
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